Jean Chrysostome
Doctrine
On a dit souvent que saint Jean Chrysostome est plus
moraliste que théologien, et que sa pensée
présente peu d'intérêt sur le plan
spéculatif. En réalité, Jean est
avant tout un pasteur et un prédicateur, dont
l'enseignement est inséparablement
théologique, moral et spirituel. Il n'est pas
à la recherche de solutions nouvelles aux
problèmes théologiques spéculatifs
de son époque, mais tout son enseignement
procède d'une adhésion
plénière à la tradition dogmatique
de l'Église, en même temps que d'une vie
entièrement vouée à l'ascèse
et à la prière. Il est vraiment par
là un "Père de l'Église" dans toute
la force du terme. Il n'enseigne pas ses opinions
personnelles, mais transmet le dépôt de la
foi dans toute son intégrité.
Théologie trinitaire et christologie
Ces remarques valent tout particulièrement en
ce qui concerne la théologie trinitaire et la
christologie. Jean Chrysostome s'applique surtout
à prémunir ses fidèles contre
l'hérésie en mettant à leur
portée la catéchèse commune de
l'Église, et à leur montrer quel sens les
affirmations de la foi présentent pour leur vie
chrétienne.
C'est surtout à l'arianisme que s'oppose
Chrysostome; on ne trouve pas chez lui de
polémique contre Apollinaire. Il professe
clairement l'existence d'une âme humaine du Christ;
mais sa christologie est plus alexandrine
qu'antiochienne; il est beaucoup plus proche de saint
Athanase et de saint Hilaire de Poitiers que d'un
Théodore de Mopsueste, et il subordonne
l'activité propre de la nature humaine dans le
Christ à la nature et à la personne du
Logos. "L'humanité que j'ai revêtue, je ne
l'ai jamais laissée destituée de la vertu
divine, mais, agissant tour à tour comme homme et
comme Dieu, tantôt je laisse voir en moi la nature
humaine et tantôt je donne des preuves de ma
mission ; j'apprends ainsi aux hommes à attribuer
les actes les plus humbles à l'humanité et
à rapporter les plus élevés à
la divinité ; par ce mélange d'Oeuvres
inégales, je fais comprendre l'union de mes deux
natures si dissemblables ; je montre, en me soumettant
librement aux souffrances, que mes souffrances sont
volontaires ; comme Dieu, j'ai dompté la nature en
prolongeant le jeûne jusqu'à quarante jours,
mais ensuite j'ai eu faim ; j'ai apaisé, comme
Dieu, la mer en furie et j'ai été
accablé en ma qualité d'homme; comme homme,
j'ai été tenté par le diable, mais,
comme Dieu, j'ai commandé aux démons et je
les ai chassés ; je dois, dans ma nature humaine,
souffrir pour les hommes." (Sur Lazare, 1 ; PG 50,
642-643).
Ou encore : "Par ces paroles: "S'il est possible que
ce calice s'éloigne de moi", et : "Non comme je
veux mais comme tu veux", il montre qu'il a vraiment
revêtu notre chair qui a horreur de la mort. Car il
est de la chair de craindre la mort, de trembler et
d'être dans l'angoisse. Tantôt Jésus
la laisse abandonnée à elle-même,
afin qu'en montrant sa faiblesse il atteste sa nature ;
tantôt il la voile pour prouver qu'il n'est pas
seulement homme. Voilà pourquoi, dans ses paroles
et ses actes, il mêle le divin et l'humain. De la
sorte, il ôte tout prétexte à la
folie de Paul de Samosate et à la démence
de Marcion et de Manès. Voilà pourquoi
encore il prédit l'avenir comme Dieu et le redoute
comme homme." (Sur ceux qui ne sont pas venus à la
synaxe, 6, PG 48, 766).
Du sacrement du Christ dans l'Eucharistie à la
réalité du Christ dans le pauvre
La doctrine eucharistique de saint Jean Chrysostome
est particulièrement riche. Il montre bien comment
l'eucharistie "fait" l'Église en incorporant les
hommes au Corps du Christ. Il colore ses
développements d'un sens du sacré en
même temps que d'un accent de tendresse envers la
personne du Christ qui correspondent à son
génie particulier : "Celui que les anges ne
regardent qu'en tremblant, ou plutôt qu'ils n'osent
regarder à cause de l'éclat qui en
émane, est celui-là même qui nous
sert de nourriture, qui se mélange à nous,
et avec qui nous ne faisons plus qu'une seule chair et
qu'un seul corps (p. 109).
"Il veut que nous devenions son corps non seulement
par l'amour, mais qu'en réalité nous nous
mêlions à sa propre chair. C'est ce
qu'opère la nourriture que le Sauveur nous a
donnée comme preuve de son amour. Voilà
pourquoi il a uni, confondu son corps avec le
nôtre, afin que nous soyons tous comme un
même corps, joint à un seul chef. Ainsi font
ceux qui s'aiment ardemment... Voilà ce que
Jésus-Christ a fait pour nous : il nous a
donné sa chair à manger pour attirer notre
amour envers lui et nous montrer celui qu'il nous porte ;
il ne s'est pas seulement fait voir à ceux qui ont
désiré le contempler, mais encore il s'est
donné à toucher, à palper, à
manger, à broyer avec les dents, à absorber
de manière à assouvir le plus ardent amour
(p. 119-120).
"Veillons donc sur nous-mêmes, mes très
chers frères, puisque nous avons eu le bonheur de
recevoir de si grands biens... Jusqu'à quand nous
attacherons-nous aux choses présentes ?" (p.
123) . Plus que jamais, les applications morales et
parénétiques découlent ici du dogme.
Devenus membres du Christ par l'eucharistie, les plus
pauvres et les plus démunis sont par là
même l'autel véritable sur lequel les
fidèles doivent offrir le sacrifice spirituel de
l'aumône et de la miséricorde : "L'autel
dont je vous parle est fait des membres mêmes du
Christ, et le corps du Christ devient pour toi un autel.
Vénère-le : dans la chair, tu y fais le
sacrifice au Seigneur. Cet autel est plus terrible que
celui qui se dresse en cette Église, et, à
plus forte raison, que celui de l'ancienne loi.
" Ne vous récriez pas. Cet autel-ci est
auguste, à cause de la victime qui y vient ; celui
de l'aumône l'est davantage, parce qu'il est fait
de cette victime même. Celui-ci est auguste, parce
que, fait en pierres, il est sanctifié par le
contact du corps du Christ ; et l'autre, parce qu'il est
le corps même du Christ. Il est donc plus
vénérable que celui-ci devant lequel, mon
frère, tu te trouves.
" Qu'est-ce donc encore qu'Aaron, quand on songe
à ces choses ? Que sont la couronne, les
sonnettes, le Saint des Saints ? Et pourquoi parler de
cet autel ancien, quand, comparé à notre
autel lui-même, l'autel de l'aumône est si
splendide ? Et toi, tu vénères cet
autel-ci, lorsque le corps du Christ y descend. Mais
l'autre qui est le corps du Christ, tu le négliges
et tu restes indifférent, quand il
périt.
" Cet autel, tu peux le voir dressé partout,
dans les ruelles et sur les places, et, à chaque
heure, tu peux y faire le sacrifice ; car c'est là
aussi le lieu des sacrifices. Et comme le prêtre,
debout à l'autel, appelle l'Esprit ; de
même, toi aussi, tu appelles l'Esprit, comme cette
huile répandue en abondance." (Hom. 82 In Matth.;
PG 58, 744.).
Grâce et liberté humaine
L'enseignement de saint Jean Chrysostome sur la
prédestination, la grâce et la
liberté lui est commun avec les autres
Pères orientaux, et s'accorde substantiellement
avec celui de saint Cassien, condamné en Occident
comme "semi-pélagien". Le point de vue de Jean est
pastoral et spirituel, et non métaphysique comme
celui d'Augustin d'Hippone. Pour Jean, le salut ou la
damnation de l'homme ne sont pas fixés d'avance,
sans que sa volonté libre y ait une part. Dieu
adresse son appel à tous, offre sa grâce
à tous, mais il appartient à l'homme de
l'accueillir ou de la refuser :
"Si la grâce ne demandait d'abord ce qui vient
de nous, elle serait versée en masse dans toutes
les âmes. Mais comme elle requiert ce qui vient de
nous, elle habite à demeure dans les uns, et
quitte les autres. Quant au reste des hommes, elle
n'apparaît pas même en eux un moment, Dieu
exigeant d'abord le choix préalable." (De la
componction; PG 47, 408).
"Dieu ne prévient pas nos volontés par
ses dons, mais lorsque nous avons commencé, fourni
le vouloir, alors lui-même nous présente
plusieurs occasions de salut." (Hom. In Jn;
PG 59,408). "La vertu est tissée du
zèle que nous montrons et de l'assistance dont
Dieu nous aide." (Sur le Ps 140, 9 ; PG 55,441).
"Tout ne dépend pas de nous, mais une partie
dépend de nous, une partie de Dieu. Choisir le
mieux, le vouloir, nous y appliquer, affronter n'importe
quelle peine, cela dépend de nous; mais pouvoir
mener nos efforts à bien, ne pas les faire
échouer, aller jusqu'au bout de nos actes
vertueux, cela dépend de la grâce d'en haut.
En ce qui concerne la vertu, Dieu a
délimité sa part et la nôtre. Il n'a
pas mis tout en notre pouvoir, pour nous éviter de
nous laisser emporter par une orgueilleuse folie, et il
ne s'est pas chargé de tout, pour que nous ne
tombions pas dans la paresse, mais, laissant à nos
efforts le rôle le plus modeste, il assume
lui-même le principal." (Sur : Seigneur, il
n'appartient pas à l'homme ... 4 ; PG 56,
160).
http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/chrysostome/index.htm